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Marin, parcours d’un combattant

Marin est venu de Roumanie en France le 16 mars 2023, avec l’ensemble de sa famille. Comme d’autres compatriotes, il cherche à améliorer autant que possible son quotidien. Les débuts sont toujours difficiles et espérant un jour trouver du travail, il récupère divers objets et métaux qu’il revend.


A peine un mois après son arrivée, le 18 avril 2023, alors qu’il fouille dans les poubelles à Saint-Denis, où il s’est installé dans une petite cabane en bois, il est arrêté par la police et placé en garde à vue. Aucune poursuite pénale n’est engagée, - encore heureux, - mais il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sans délai, au motif qu’il ne justifiait pas être entré en France depuis moins de trois mois, qu’il était dépourvu de ressources et de assurance maladie et qu’il était une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale française. De plus, l’État (le préfet, par délégation) considère qu’il s’est rendu coupable de vol (la fouille des poubelles) et que cela constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’intérêt fondamental de la société française (non, non, ce n’est pas une blague) au point de lui interdire la circulation sur le territoire français pendant un an après  l’avoir quitté. L’OQTF avec interdiction de circuler sur le territoire français lui est notifié à la fin de sa garde à vue, vendredi après-midi. Elle est susceptible de recours dans les 48 heures, soit jusqu’à dimanche. Dans une telle course contre la montre, il faut de la chance !


Par chance, Marin connaît La voix des Rroms et son pôle juridique, qu’il appelle sans tarder. Déjà en week-end, un de nos avocats se mobilise et forme le recours contre l’arrêté préfectoral en temps et à l’heure, ce qui n’était pas évident vu que nous ne l’avions eu que vendredi en fin d’après-midi.


Par chance, Marin était venu en France en avion, contrairement à beaucoup de ses compatriotes qui viennent en covoiturage. Il détient donc la preuve de la date de son arrivée en France, comme il l’avait déclaré aux policiers. Évidemment, Marin ne se promène pas avec sa carte d’embarquement…  qui l’aurait fait ? Dans ces conditions, les policiers ne tiennent pas compte de ses déclarations et présument qu’il est en France depuis plus de trois mois, donc OQTF. Il lui appartiendra de prouver le contraire.


Oui, Marin a de la chance, mais le respect des droits ne devrait pas être une question de chance !


Combien y a-t-il de Marin qui n’ont aucun moyen de prouver la date de leur arrivée en France? Combien y en a-t-il encore qui ne connaissent pas de personnes ou d’associations pouvant les aider à faire valoir leurs droits ?


Mais revenons à notre Marin. Non pas par chance, mais par application du droit, le 7 juillet 2023 le tribunal administratif a annulé l’OQTF et l’interdiction dont il faisait l’objet. Marin est content. Il pourra désormais s’inscrire au Pôle emploi et entamer des démarches comme l’a fait sa femme, qui depuis trois semaines a commencé une formation. Il se rend au commissariat de Saint-Denis pour récupérer sa pièce d’identité, puisqu’il n’a plus d’obligation de quitter le territoire. Or la pièce d’identité est remise à la préfecture de Bobigny. Marin y va. La préfecture est barricadée et on ne peut y entrer qu’avec une convocation à un rendez-vous. Les vigiles lui conseillent de prendre rendez-vous.


Le 13 juillet 2023, nous écrivons au Bureau de l’éloignement  pour demander comment il peut récupérer sa pièce d’identité. Sans aucune réponse à ce premier e-mail, nous écrivons à nouveau le 29 août 2023. Le silence radio se poursuit, alors que ce même service répond très promptement lorsqu’il s’agit de donner les indications nécessaires aux personnes qui, en exécution de leurs OQTF, demandent à récupérer leur pièce d’identité au poste de la police aux frontières à l’aéroport. A son tour, l’avocat de Marin écrit au service éloignement le 6 septembre 2023. Le silence se poursuit…


Le 8 septembre 2023, nous saisissons le Défenseur des droits.  Le 30 janvier 2024, après une réunion avec des juristes du Défenseur des droits, celle en charge du dossier nous écrit pour nous dire qu’il était toujours en cours de traitement et nous a demandé certaines pièces que nous lui communiquions sans délai. Le 22 avril 2024, elle nous rappelle pour nous demander s’il y avait du nouveau. Hélas, non… Alors elle nous informe que le Défenseur des droits allait envoyer une lettre à la préfecture.


Le 3 juin 2024, le Bureau de l’éloignement répond au mail de l’avocat en date du 6 septembre 2023… Neuf mois après… L’avocat est étonné de cette réponse tardive à un e-mail qu’il avait déjà eu le temps d’oublier. L’effet de l’intervention du Défenseur des droits ? On peut le supposer. Mais là encore, faut-il saisir cette autorité administrative indépendante pour quelque chose qui devrait se faire naturellement, dès que la justice s’est prononcée ?  


Le mail de réponse contient une convocation à l’intention de Marin, et demande la date et l’heure où il pourrait se présenter en préfecture pour récupérer sa carte d’identité. Évidemment, Marin est plutôt pressé… l’avocat indique le créneau : mercredi 5 juin entre 12:30 et 13:45. Marin y est quelques minutes avant. On le fera attendre à différents SAS, jusqu’à une salle d’attente et… jusqu’à 16 heures 30 ! Enfin, au moins il partira avec sa carte d’identité. C’étaient les quatre dernières heures d’une attente… de 13 mois et demie, dont 11 mois de détention arbitraire de son document d’identité. Pendant toute cette période, il ne pouvait justifier de son identité qu’avec le récépissé spécifiant qu’il faisait l’objet d’une mesure d’éloignement. Alors que cette mesure d’éloignement était annulée depuis longtemps… Seule identification possible, ce papier stigmatisant qui empêche toute démarche d’insertion. Pendant toute cette période, il lui a fallu s’accrocher. Le bâtiment de la préfecture où il a enfin récupéré sa pièce d’identité porte le nom de René Cassin, le célèbre juriste français architecte de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Tout un symbole…  


Et le parcours de combattant de Marin n'est pas terminé. Nous ne vous avons pas tout dit encore...



 

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