Disparition de Marcel Courthiade, figure de la langue rromani
Marcel Courthiade s'est éteint le 4 mars 2021 à Tirana (Albanie) à l’âge de 67 ans. Avec lui, les Rroms perdent une ressource exceptionnelle. Cependant, son œuvre reste tel un trésor que plusieurs générations d’acteurs pourront mettre au profit de l’émancipation des Rroms, objectif auquel il avait consacré son existence.
Né le 2 août 1953, au 9ème anniversaire de la liquidation du Zigeunerfamilienlager à Birkenau, c’est comme s’il était destiné à vivre pour la renaissance ce peuple qui avait tant souffert. C’est peut-être ce qui explique que, après un parcours scolaire exemplaire, il a abandonné ses études de médecine à la cinquième année pour se consacrer à l’étude des langues. Il parvint à en maîtriser un nombre incalculable, mais c’est particulièrement le rromani qu’il a placé au centre de son intérêt. Il a consacré sa vie à sa défense et à son développement, et à travers la langue, à la défense de l’identité et des droits des Rroms.
Son activité articulait toujours une expertise scientifique de très haut niveau, une humilité et accessibilité exceptionnelles et surtout une dévotion sans faille à la cause rrom. Il a été l’artisan de l’élaboration d’un véritable projet de politique linguistique avec les principes de l’unification de la langue rromani, qui furent adoptés en 1990 à Varsovie par le 4ème Congrès de l’Union Rromani Internationale, présidée alors par Rajko Đurić, une autre grande personnalité du mouvement rrom international de l’époque, disparu lui aussi récemment… C’est sur la base de ces principes que le rromani est enseigné aux universités de Paris (INALCO) et de Bucarest. C’est aussi sur cette base que Marcel Courthiade a coordonné la rédaction du premier dictionnaire européen de la langue rromani, très justement sous-intitulé « de nos anciens, à nos filles et à nos fils ».
Comme d’autres intellectuels et activistes de sa génération, Marcel était peut-être trop en avance pour être tout à fait compris. Le 28 février 2021, sur la télé publique albanaise, il répondait à la question d’une journaliste de savoir si la langue rromani était « officialisée » :
« Elle a été officialisé par les instances rromani, par les institutions rromani, mais pas de la part des Etats. Mais c’est normal […] les autorités rromani, c’est-à-dire l’Union Rromani Internationale, le Commissariat à la Langue et les Doits Linguistiques etc. ont officialisé très bien la langue rromani. Mais les autres ne reconnaissent pas cette officialisation parce qu’il s’agit d’instances rromanis. En fait, en toute logique on doit dire qu’il est normal qu’une langue est officialisé dès lors qu’elle est officialisée par ses institutions propres, non pas par les autres. Mais c’est là qu’il y a une manipulation […], les autres n’acceptent pas l’existence de la langue rromani. Peut-être que ça viendra un jour, je ne sais pas ; mais pour l’instant, au nom de la « diversité », ils disent qu’il y a plusieurs langues rromani, ce qui n’est pas vrai. L’italien p. ex. ou l’allemand, ont plus de dialectes que le rromani, mais personne ne dit que l’italien ou l’allemand n’existe pas. C’est là que se situe la discrimination : le déni de l’histoire des Rroms, le déni de leur langue, de leur littérature, de l’alphabet, de la « Kris »… C’est vraiment de la discrimination, qui mène au déni du peuple rrom, et quand un peuple n’existe pas, quels droits peut-il réclamer ? C’est un mécanisme très profond et très rusé ».
Ces mots sonnent aujourd’hui comme un testament. Il appartient aux générations actuelles et futures d’en saisir tout le sens pour continuer le combat pour la dignité des Rroms, et donc pour leurs droits. Nous le devons à Marcel, et à tous ceux qui nous ont précédés, et plus ou moins entraînés.
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